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Les théories d'Edward T. Hall

Une comparaison entre la France et l’Allemagne par rapport au contexte, au temps et à l’espace

 

Quand il s’agit de s’intégrer en tant qu’employé(e) allemand(e) dans une entreprise française, il paraît sensé de prendre en considération les différentes méthodes de travail des Français et des Allemands. Les méthodes de travail sont influencées par le rapport qu’ont les individus au contexte et au temps, ainsi qu’à l’espace et qui se montrent dominant dans le pays en question. Les trois composantes culturelles sont fortement liées. L’anthropologue américain Edward T. Hall (1914-2009) s’y est consacré - à côté d’autres projets - dans sa recherche scientifique. Il a traité les composantes culturelles en tant que parties de la « dimension culturelle cachée »[1].

 

Le rapport au contexte


E.T. Hall met en avant l’importance du contexte pour la communication en général: la signification des mots et des phrases dépend du contexte dans lequel ces derniers sont exprimés. Plus les personnes qui se parlent partagent d’informations, plus fort sera le contexte. Comme situation de contexte fort E.T. Hall décrit comment deux personnes qui se connaissent depuis des années et qui sont très proches n’auront pas besoin de s’expliquer dans certaines situations : la personne A pourra interpréter l’expression du visage de la personne B sans que cette dernière ne dise un mot. La communication est ici implicite. Pour illustrer la signification d’un contexte bas, E.T. Hall se réfère aux tribunaux et aux mathématiques. Dans ces contextes-là, toutes les informations doivent être explicites, c’est-à-dire exprimées de façon claire et précise. On parlera donc de contextes faibles.[2] En ce qui concerne leur rapport aux contextes, nous pouvons observer des différences entre les Français et les Allemands : E.T. Hall a trouvé que, généralement, l’Allemagne est un pays à contexte bas, c’est-à-dire que les individus ont besoin « d’un maximum d’informations explicites pour communiquer et interagir ».[3] Ce besoin remonte au fait que dans leur culture, « les informations circulent peu sur une base informelle ».[4] Dans le cadre d’une coopération allemande avec des pays à contexte riche, il se peut que l’Allemand(e) ait l’impression de ne pas avoir reçu assez d’informations. Comme il/elle est habitué(e) au style de communication clair avec ses collègues allemands, il est possible qu’il/elle « craigne de se voir cacher des données » par le membre de la culture étrangère.[5] Les pays dans lesquels « peu d’informations sont délivrées » se réfèrent, par contre, fortement au contexte ; ils appartiennent aux cultures à contexte riche. Leurs membres ne souhaitent pas avoir trop d’informations.[6] La France appartient donc d’après E.T. Hall aux cultures à contexte intermédiaire.  Dans le cadre de l’analyse du rapport au temps et à l’espace des Français et des Allemands, nous verrons plus tard que les différences sont pour ces dimensions-là beaucoup plus décisives. Cependant, il est recommandé de bien prendre en compte le contexte dans lequel on vise à « intégrer son message ». Pour un(e) employé(e) allemand(e) qui part en France pour y travailler, le fait d’avoir réfléchi à son propre rapport au contexte ne peut avoir que des effets positifs sur son intégration à l’étranger. Cela vaut particulièrement concernant son besoin de données précises qui ne sera probablement pas satisfait selon ses attentes.

 

Le rapport au temps


Selon E.T. Hall, il existe en général deux manières d’utiliser le temps : un groupe le répartit, tandis que l’autre le découpe. Les individus qui répartissent le temps tendent à ne faire qu’une chose à la fois. Les personnes qui découpent le temps sont capables de faire plusieurs choses en même temps. À partir de ces réflexions-là, E.T. Hall a introduit les néologismes « monochronique » et « polychronique ».[7] Dans notre contexte d’immigration d’un(e) Allemand(e) en France, cette théorie paraît particulièrement intéressante : à partir de ses recherches, E.T. Hall classe dans les cultures monochroniques les pays anglo-saxons, l’Allemagne et les pays d’Europe du Nord. Les pays de la Méditerranée, les pays d’Amérique latine et les pays arabes font partie des cultures polychroniques.[8] Les Français sont monochroniques du point de vue intellectuel, mais polychroniques dans leur comportement.[9] Ce décalage de nature culturelle peut mener à des difficultés en termes d’organisation dans la coopération franco-allemande. Quelles sont donc les caractéristiques particulières que E.T Hall explique avoir observées chez ces deux pays voisins ?

 

Nous pouvons, dans un premier lieu, observer que les Allemands ne font qu’une seule chose à la fois, tandis que les Français consacrent leur temps à plusieurs choses simultanément. Cette différence peut entrainer une certaine irritation. Imaginons un(e) employé(e) allemand(e) qui se trouve dans son bureau. Il/Elle est en train de travailler sur une chose, pour ensuite pouvoir se consacrer à une autre. Son/Sa collègue français(e) vient dans son bureau pour l’interroger sur un autre projet que celui qu’il/elle est en train de travailler. Il est probable que l’Allemand(e) aura du mal à se concentrer sur la conversation et essayera de la repousser à un moment qui lui conviendra mieux. Cette demande peut être mal perçue par l’employé(e) français(e) : puisque lui/elle est habitué(e) à faire plusieurs choses à la fois, il/elle ne comprendra pas forcément tout de suite le comportement de son/sa collègue - il se peut que les méthodes de travail de ce dernier/de cette dernière lui paraissent moins efficaces. Pourtant, il s’agit ici seulement d’une autre manière de s’organiser.

 

Une autre différence culturelle concerne, deuxièmement, les emplois du temps. Le planning et les programmes sont au centre de l’intérêt des Allemands. Pour les Français, par contre, les personnes ont priorité avant le planning. Cela a des conséquences concrètes pour la manière de travailler : il se peut que les Français, avant de se rendre dans leurs bureaux, se rencontrent le matin dans le couloir pour discuter. Au début de leur conversation, ils vont parler des intérêts personnels, de la famille, etc. Puis l’attention se tournera vers les projets de travail, ils parleront de leurs projets professionnels, ils essayeront de trouver ensemble des solutions pour des problèmes rencontrés. Pour un(e) Allemand(e), cette manière de travailler peut paraître étrange. Arrivé(e) au travail le matin, il/elle s’installera à son bureau, porte fermée, et commencera à travailler au fur et à mesure les différentes tâches de son agenda de manière autonome. Pour lui / elle, l’exactitude dans son travail représente un des objectifs principaux – pour le/la Français(e), elle est plutôt approximative.[10]

 

Pour les cultures monochroniques, le temps est abordé comme une chose très concrète, de presque palpable et de précieuse. Cela est illustré par diverses expressions idiomatiques utilisées autour du terme-même de « temps » : on peut « Zeit sparen », « Zeit verschwenden », « Zeit verlieren » etc. Toutes ces expressions renvoient au champ sémantique de l’argent : l’argent qui peut être « économisé », « gaspillé » et « perdu ».[11] Par contre, le temps est « vécu de façon moins concrète »[12] par les cultures polychroniques. Même s’il existe en français les mêmes expressions idiomatiques évoquées ci-dessus en langue allemande, on observe que les Allemands ont davantage  tendance à gérer leur temps d’une manière qui leur parait la plus économique et la plus efficace.[13]

 

En ce qui concerne les projets d’avenir, E.T. Hall a par ailleurs trouvé dans ses recherches que l’approche des Français se distingue substantiellement de l’approche suivie par les Allemands : les Français favorisent la vision à court terme et, y partant, une rapide prise de décision. Les Allemands, eux,  « privilégient davantage le moyen-long terme » et ont ainsi tendance à réfléchir plus longtemps à leurs décisions.[14] Dans le cadre de la coopération franco-allemande, ce décalage dans les manières de procéder représente un défi. Pour éviter que celui-ci devienne une menace pour la collaboration, il paraît sensé de consacrer du temps à y réfléchir et de rester attentifs aux différences de point de vue.

 

Le rapport à l’espace


Comme le rapport des individus au contexte et au temps, le rapport à l’espace peut varier selon la culture en question. Le rapport d’un individu à l’espace détermine, souvent de manière inconsciente, les rencontres. Dans le cadre des rencontres interculturelles en particulier, les différentes structures déterminantes peuvent produire de l’irritation, voire causer des malaises chez les personnes concernées. C’est la raison pour laquelle ce sujet paraît mériter attention.

L’espace est défini comme « le territoire personnel de chaque individu ».[15] C’est à partir de son rapport à l’espace que l’individu gardera une certaine distance vis-à-vis d’une personne ou, bien au contraire, se rapprochera d’elle. Edward T. Hall introduit un néologisme qui regroupe toutes les recherches de cet aspect du comportement : il parle de la « proxémie » pour désigner « l’ensemble des observations et théories concernant l’usage que fait l’homme de l’espace » (ibid.). En ce qui concerne les Français, on constate généralement qu’ils gardent moins de distance dans les rencontres. Autrement dit, ils « se laissent approcher beaucoup plus que les Allemands ».[16] Leurs voisins allemands préfèrent les territoires personnels bien définis et attendent que « la sphère personnelle de chacun [soit] rigoureusement respectée. » (ibid.). Cette différence se montre, par exemple, dans la façon de se dire « Bonjour » : l’habitude française de se faire la bise dans les contextes non-professionnels peut provoquer de l’irritation chez l’Allemand(e), qui a plus tendance à serrer la main de l’autre. En tant qu’Allemand(e) partant en France, il semble important de se préparer mentalement à cette habitude française.

 

Le modèle proposé par l’anthropologue E.T. Hall a été critiqué pour « son caractère stéréotypique et trop peu nuancé ».[17] Pour notre contexte de l’intégration d’un(e) Allemand(e) au sein d’une entreprise française, le modèle de E.T. Hall permet néanmoins de s’orienter. Tout comportement observé par E.T. Hall chez les individus issus de différentes cultures ne s’appliquent pas à chaque individu. Nous pouvons supposer que l’anthropologue nous sensibilise aux tendances des individus d’agir d’une certaine manière plutôt que d’une autre dans les rencontres interpersonnelles. L’Allemand(e) partant en France pour y vivre et y travailler peut ainsi tirer un avantage considérable du modèle en question.



[1] Expression retirée du titre du livre de HALL, Edward T.: La dimension cachée. Paris, Éditions du Seuil, 1971.

[2] cf. HOFSTEDE, Edward T.Hall : The Dance of Life. New York, Anchor Books, 1983, p.59.

[3] LOTH, Désiré : Le management interculturel. Paris, L’Harmattan, 2006, p.71.

[4] Ibid., p. 70.

[5] Ibid., p.71.

[6] Cf. ibid.

[7] Birgit Mau-Endres propose la traduction suivante conforme au sens de ces deux néologismes : monochronic (angl.) – réparti ; polychronic (angl.) – découpé [GAIDOSCH, Ulrike et Birgit MAU-ENDRES et al.: Interkulturelles Kompetenz- und Konflikttraining für den Beruf (IKK) – Handout zum Grundlagenseminar. Bfz Bildungsforschung München, 2002. Document en ligne: http://www.f-bb.de/uploads/tx_fffbb/IKK-Grundlagen-Handout.pdf [page consultée le 16/07/2013].

[8] cf. HALL, Edward T.: The Dance of Life. New York, Anchor Books, 1983, p.46-50.

[9] ibid. : 58

[10] LOTH, Désiré : Le management interculturel. Paris, L’Harmattan, 2006.

[11] cf. HALL, Edward T.: The Dance of Life. New York, Anchor Books, 1983, p.48.

[12] LOTH, Désiré : Le management interculturel. Paris, L’Harmattan, 2006, p.73.

[13] Ibid.

[14] Ibid.

[15] LOTH, Désiré : Le management interculturel. Paris, L’Harmattan, 2006, p. 75.

[16] Ibid.

[17] Ibid., p.77.